Titre : Le commerce des promesses, petit traité sur la finance moderne
Auteur : Pierre-Noël Giraud
Publication : 2001
Editeur : Editions du Seuil
ISBN : 2-02-038110-9
Nombre de pages : 380
Prix : 21,34 Euros
La finance a envahi l'actualité. Sa complexité, l'énormité des sommes en jeu, la rapidité des fortunes et des ruines, la valse des Bourses et des monnaies, l'émergence de puissances hors contrôle des Etats, tout cela fascine ou inquiète. Ce qui, pour les uns, est victoire de la liberté et de l'efficacité n'est, pour les autres, que fatal dérèglement des capitalismes. Le premier objectif de l'auteur est ici d'écarter les peurs nées de l'ignorance et de faire naître d'une froide rigueur les questions pertinentes. Pourquoi et au profit de qui les capitaux circulent-ils ? Qu'est-ce qu'une bulle spéculative, comment naît une crise financière et qui en paye finalement le prix ? Pourquoi les inégalités croissantes accompagnent-elles la globalisation ? Les entreprises sont-elles désormais soumises aux exigences des fonds de pension ? Les Etats ont-ils perdu tout pouvoir économique au profit des marchés ? Autant de questions auxquelles l'auteur répond par des analyses d'une rare clarté. Il le fait en déployant toutes les conséquences d'un constat simple mais occulté : ce dont la finance fait commerce n'est jamais que des "promesses", des droits sur la richesse future que rien ne peut garantir, car l'avenir est irréductiblement incertain. Au fil de cette enquête au coeur de la finance globale se dégage un message sans concession mais non sans espoir. La globalisation tend certes à engendrer ici ou là une croissance plus vigoureuse, mais aussi un monde plus brutal, imprévisible et inégalitaire, où les "compétiteurs" sont tentés de se désolidariser des autres. Une croissance moins inégalitaire reste cependant possible; elle ne dépend que du retour de la volonté politique, sous des formes, il est vrai, profondément renouvelées.
Pierre-Noël GIRAUD
Né en 1949, il est professeur d'économie à l'Ecole des Mines de Paris, où il a fondé et dirige le CERNA (Centre de
rehcerche en économie industrielle), et à l'université de Paris-Dauphine. Il est notamment l'auteur de L'Inégalité du
monde (Gallimard, 1996) et de L'Economie : le grand satan ? (Textuel, 1998).
Au temps des tsars, dans une chambre sur cour du quartier juif de Simferopol (Crimée), en pleine nuit, Moïshe, incapable de trouver le sommeil, se tourne et se retourne dans son lit. Rachel, sa femme, finit par lui demander :
- Qu'as-tu, mon cher mari, qu'est-ce donc qui te tourmente ainsi ?
- Je ne veux pas t'inquiéter, dit Moïshe.
- Si, dis-le moi, je veux tout partager avec toi.
- Connais-tu Samuel, notre voisin d'en face ?
- Bien sûr, je le connais.
- Eh bien, je lui dois rendre mille roubles demain matin, et je ne les ai pas.
- Ce n'est que cela ? dit Rachel.
Elle se lève, ouvre la fenêtre et appelle Samuel dans la nuit, à travers la cour endormie.
- Samuel, Samuel !
- Que se passe-t-il, crie Samuel, surgissant à sa fenêtre, très inquiet. Les Cosaques ? Un pogrom ?
- Non, Samuel, rassure-toi. Tu connais mon mari, Moïshe ?
- Oui, je le connais, bien sûr !
- Tu sais qu'il te doit mille roubles ?
- Et comment ! Il doit me les rendre demain. J'y compte bien car j'en ai absolument besoin.
- Eh bien, mon cher Samuel, il ne te les rendra pas, car il ne les a pas.
Et Rachel ferme la fenêtre, se recouche et dit à son mari :
- Dors maintenant, c'est lui qui ne dort pas.
C'est une des histoires que je préfère. J'aime sa profonde sagesse et son humanité. Elle énonce une évidence : une créance, telle celle de Samuel sur Moïshe, n'est jamais qu'une simple promesse de recevoir de l'argent dans l'avenir. Rien ne permet d'être absolument sûr que cette promesse sera tenue, car de l'avenir nul ne peut être certain. La finance dans son ensemble n'est donc jamais qu'un "commerce de promesses". Considérer cette évidence avec attention m'a conduit aux deux questions qui sont à l'origine de ce livre.
La finance fait donc commerce des promesses. Est-il assuré que ces promesses de revenus futurs ne sont pas excessives par rapport à ce que sera réellement la richesse future ? Si c'étais le cas, un "mistigri", telle la mauvaise carte du jeu du même nom, circulerait en permanence dans la sphère financière. Ce mistigri, ce sont les promesses de revenus futurs dont il est certain qu'elles ne pourront être honorées. Mais, bien sûr, sauf à l'échéance, personne ne sait qui le détient. Il existe, il circule, mais chacun espère qu'il finira entre les mains d'un autre. Si Moïshe ne peut rembourser, c'est que l'emprunt auprès de Samuel a été investi dans de mauvaises affaires, qui n'ont pas créé assez de richesses pour permettre de le rembourser avec intérêts. Rachel ne fait qu'annoncer en pleine nuit à Samuel, juste avant l'échéance, que c'est lui désormais qui détient la mauvaise carte. En créant des droits en excès sur la richesse future, la finance serait alors une cause permanente de conflits en répartition, éventuellement violents. Elle engendrerait et ferait circuler précarité et angoisse. L'angoisse que Rachel, dans sa sagesse, a simplement transférée d'une chambre à l'autre, la déplaçant là où dorénavant elle devait être.
Faisant commerce des promesses, la finance est donc un lieu où se confrontent des "visions" de l'avenir. Les acteurs de la finance n'agissent qu'en fonction d'"anticipations". C'est ce qu'il anticipe de l'avenir qui décide un ménage à épargner, un industriel à emprunter ou à émettre des actions pour investir, un individu quelconque à vendre ou à acheter des titres financiers. Si Samuel a prêté mille roubles à Moïshe, c'est qu'il pensait que ce dernier allait continuer à être un négociant solide. Si Moïshe a emprunté, c'est pour financer une affaire qu'il pensait profitable. Les deux se sont trompés. Mais, réciproquement, si Samuel n'avait pas eu confiance en Moïshe, alors que Moïshe avait identifié une affaire réellement rentable, une richesse potentielle n'aurait pas été créée.
La question est donc : quelle est la nature de cette pensée de l'avenir qui détermine les actes sur les marchés financiers ? Comment se forme-t-elle ? S'enracine-t-elle dans l'observation du passé ? N'en est-elle qu'une simple extrapolation ? Ou a-t-elle une plus large autonomie ? Si c'était le cas, alors cette pensée serait agissante. La pensée de l'avenir façonnerait l'avenir.
La distinction très répandue entre une sphère "réelle", celle de la production, et une sphère finanière qui n'en serait que le reflet serait alors peu pertinente. Tout aussi peu pertinente serait l'interprétation, en apparence opposée, d'une finance purement "virtuelle", simple casino où ce qui se joue n'a que peu de rapports avec la réalité du labeur humain, seul producteur de richesse réelle. La finance manifesterait au contraire avec éclat qu'en économie, la pensée des acteurs est une dimension essentielle de la réalité.
C'est pourtant ce que la la théorie économique a le plus grand mal à admettre, elle dont tout l'effort consiste à ramener des rapports entre les hommes à des rapports entre des choses. Cela expliquerait pourquoi la théorie économique est si souvent embarassée par la finance1.
Embarrassé, je le fus au premier chef par ces questions. J'ai en effet publié, en 1996, un livre d'économie : L'Inégalité du monde2. Il propose une interprétation des grandes évolutions historiques des inégalités économiques entre territoires et au sein de chaque territoire. Il analyse les conséquences de la globalisation actuelle sur les inégalités sans faire référence, sauf de façon très secondaire, à la finance et en particulier à la globalisation financière. Les tendances profondes des inégalités sont expliquées avant tout par l'intensification des flux de marchandises (la globalisation commerciale), alors que les hommes restent pour l'essentiel fixès à leur territoire. J'avais donc adopté la thèse que la finance n'est qu'une dimension subordonnée de l'économie réelle, qui peut être négligée lorsqu'on ne s'intéresse qu'aux tendances longues et massives des inégalités.
Quant à l'influence de la pensée sur les évolutions économiques, je ne l'avais pas ignorée, contrairement à beaucoup d'économistes qui affirment qu'existent dans notre domaine des lois aussi objectives que celle de la gravitation. Mais j'avais situé cette pensée dans la sphère de la politique. J'avais soutenu la thèse que l'économie était influencée de l'extérieur par une pensée politique incarnée dans une forme d'Etat, plus précisément dans un ensemble d'institutions et de règles stabilisées encadrant les dynamiques économiques. Cet ensemble d'institutions et de règles définit à mes yeux "un" capitalisme particulier, dont il est possible d'élaborer la théorie, alors qu'il est vain de chercher à établir des lois économiques valides en tout temps et en tout lieu. Et voilà que se présentait l'hypothèse d'une pensée agissant de l'intérieur même de l'économie, s'exprimant de manière privilégiée dans la sphère financière.
Il me fallait par conséquent vérifier les intuitions engendrées par l'histoire de Rachel et évaluer l'importance de la globalisation financière dans le processus général de globalisation économique. A la lumière de ces questions, j'entrepris donc un réexamen de la théorie financière, de l'articulation de la finance à l'économie, des évènements récents, en particulier les crises, les plus significatifs des effets de la globalisation financière, enfin des débats actuels touchant à la finance : fonds de pension, retraites, "exubérance irrationnelle" des marchés financiers. Fidèle à la conviction que les questions économiques doivent pouvoir être débattues par des non-spécialistes, j'ai tenté de les leur rendre accessibles, sans pour autant en éluder les difficultés.
1 Notons qu'au plan académique, la finance est une disciplina rattachée à la "gestion" et non aux
"sciences économiques".
2 Pierre-Noël Giraud, L'Inégalité du monde. Economie du monde contemporain, Gallimard, coll. "Folio
Actuel", 1996.
Avant-propos. - "Dors maintenant, c'est lui qui ne dort pas" | 7 |
Chapitre 1. - Un débat introductif | 11 |
PREMIERE PARTIE | |
L'argent dans l'espace et dans le temps | |
---|---|
Chapitre 2. - L'histoire de Zaccaria, négociant gènois : à quoi sert la finance ? | 35 |
Le problème de Zaccaria | 35 |
La solution qu'il trouva | 39 |
Les banques et la fonction de prêt | 42 |
Les crises bancaires | 44 |
Les assurances et le risque moral | 45 |
Les marchés obligataires | 47 |
Les marchés d'actions | 51 |
Les banques et la fonction de règlement | 53 |
Les marchés dérivés | 55 |
Les fonctions de la finance | 64 |
Les systèmes financiers | 66 |
L'utilité contestée de la finance | 69 |
Chapitre 3. - Comment donc transférer de la richesse dans le temps ? | 75 |
Finance et croissance | 76 |
Quel est le prix d'un tableau de maître ? | 83 |
Le problème des retraites | 86 |
Un commerce de promesses | 91 |
Chapitre 4. - Le prix d'une promesse : théories des bulles spéculatives | 93 |
Les bulles spéculaives | 93 |
Pourquoi les bulles ? | 95 |
Cas des objets reproductibles | |
Cas des actifs financiers et de certains droits de propriété | |
La question des fondamentaux | 103 |
Les obligations | |
Les actions : incertitude et circularité | |
Tableaux, or et immobilier | |
Des fondamentaux à leur modèle d'interprétation | |
Théories des bulles spéculatives | 113 |
Dans la finance, les "visions" de l'avenir déterminent les prix | 118 |
Du concept de fondamentaux comme anxiolytique puissant | 122 |
Tâtonner dans les ténèbres | 126 |
Chapitre 5. - Le retour du grand Chaman : finance et monnaie | 129 |
Qu'est-ce que la monnaie ? | 130 |
Qui produit la monnaie ? | 132 |
Pas de croissance sans inflation | 135 |
La politique monétaire | 138 |
Le gendarme, le pompier et le chaman | 143 |
Prévention et traitement des crises financières | |
La politique monétaire face aux bulles | |
La monnaie asservie par la finance ? | 157 |
Chapitre 6. - Quand les capitaux circulent, les monnaies dansent | 159 |
Les marchés des changes | 159 |
Pourquoi l'euro fluctue-t-il ? | 160 |
L'équilibre de la balance des paiements | |
Les interventions de la banque centrale | |
Facteurs influençant l'évolution des taux de change | |
A la recherche du taux de change d'équilibre | 167 |
Les systèmes monétaires internationaux | 169 |
Régimes de change et liquidités internationales | |
Anatomie d'une crise de change | 172 |
Dissymétrie et instabilité de Système monétaire international | 175 |
Pour les monnaies aussi, les visions de l'avenir décident | 177 |
Chapitre 7. - La finance de marché globale : une victoire des épargnants | 179 |
La fin de l'étalon dollar ou la libertée retrouvée | 180 |
Les épargnants l'emportent : l'inflation est terrassée | 183 |
Les banques dans la tourmente | 186 |
Etourdissants marchés dérivés | 187 |
De la finance bancaire nationale à la finance de marché globale | 189 |
SECONDE PARTIE | |
Spéculations, crises, fonds de pension | |
Chapitre 8. - Au bord du gouffre : la faillite de LTCM ou pourquoi il faut sauver les spéculateurs | 193 |
La presque faillite de LTCM et comment elle fut évitée | 195 |
Spéculation ou arbitrage ? | 202 |
La finance globale : une fragilité accrue ? | 204 |
Faut-il réglementer les fonds d'investissement ? | 205 |
Une intervention légitime de la FED, mais à quel prix ? | 206 |
Chapitre 9. - De la dictature des marchés financiers : les crises du SME | 209 |
Deux attaques spéculatives contre le SME | 210 |
De quelques enseignements théoriques qu'on tira de ces évènements | 212 |
Bilan des attaques contre le SME | 216 |
Des gouvernements sous la dictature des marchés financiers ? | 219 |
Chapitre 10. - Une histoire de mistigri : le marasme japonais | 225 |
Histoire d'un krach | 225 |
Et de la crise qui s'ensuivit | 229 |
Que faire des créances irrécouvrables ? Le dilemme du gouvernement japonais | 232 |
Qui gardera le mistigri ? | 240 |
Chapitre 11. - Mieux vaut être du côté du manche : la crise asiatique | 243 |
Les précédents mexicain de 1995 | 244 |
Les tigres étaient-ils de papier ? | 247 |
Les traits communs de la croissance asiatique | |
L'ouverture aux capitaux mobiles | |
Le déroulement de la crise | |
Quelques leçons qui furent tirées de la crise asiatique | 255 |
Un cas d'école d'anticipations autoréalisatrices | |
A la recherche des coupables | |
Le FMI en question | 264 |
Chapitre 12. - Commentaires sur quelques projets de réforme | 271 |
Les propositions radicales de Maurice Allais | 272 |
Les taux de change entre grandes monnaies | 277 |
Les taux de change dans les pays émergents | 280 |
La taxe Tobin | 285 |
La prévention du risque de système | 287 |
Le prêteur en dernier ressort international | 291 |
Les conditions d'une progression de la coordination interétatique | 295 |
Chapitre 13. - Vers un nouveau capitalisme ? Les fonds de pension | 297 |
Pourquoi les fonds de pension ? | 299 |
Un débat français | |
Des entreprises changent de propriétaire | 305 |
Qui est propriétaire des entreprises ? | |
Les exigences des nouveaux propriétaires | |
Vers des capitalismes "purs" | |
Des fonds "court-termistes" ? | 315 |
Court terme/long terme : un débat douteux | |
Qu'est-ce qu'une innovation rentable ? | |
Innovation et systèmes financiers | |
Des fonds moutonniers ? | 322 |
Les fonds et la globalisation | 324 |
Le marteau et l'enclume | |
Eclatement du salariat, croissance et inégalités | |
Des rendements de 15% sont-ils soutenables ? | 331 |
Vers de nouveaux capitalismes ? | 335 |
Conclusion | 341 |
Indispensable finance | 341 |
Les deux illusions de la finance | 341 |
Nous sommes tous des spéculateurs | 342 |
Le mistigri | 342 |
Comment surviennent les crises financières | 343 |
Qu'est-ce qui change avec la finance globale ? | 345 |
La politique monétaire asservie | 347 |
Les crises financières : plus probables mais toujours imprévisibles | 349 |
Est-ce si grave ? | 349 |
Finance et conflits de répartition | 353 |
Finance, globalisation et inégalités | 355 |
Vers une convergence des capitalismes ? | 358 |
Que peuvent encore les Etats ? | 359 |
Index | 365 |
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