Auteur : Edouard Tétreau
Edition : Grasset, 2005
ISBN : 2-246-67661-4
Nombre de pages : 284
Prix : 19 euros
Quand un initié parle. Edouard Tétreau, analyste financier, a suivi les groupes de média européens à un moment crucial de la bulle financière. Il pensait exercer un métier de raison, à base de chiffres. La folie des marchés, l'aveuglement des grands chefs d' entreprise, l'apêtit de pouvoir, les pulsions les plus inquiétantes, la morgue des petits marquis régnant sur les fonds de pension : Edouard Tétreau nous fait découvrir ici l'irrationnel du théâtre d'ombres de la planète Finance.
Ce livre dévastateur, cruel et drôle, nourri de scènes vues et vécues, est surtout parfaitement salutaire. Il déshabille un mythe. Mesurons-nous le danger d'abandonner aussi facilement à autrui notre épargne, nos projets et nos entreprises ?
Edouard Tétreau est né en 1970. Il conseille aujourd'hui les dirigeants d'entreprises françaises pour leur stratégie de communication.
Mardi 12 mars 2002, 15 heures - bureau de Guillaume Hannezo, directeur financier de Vivendi Universal, 42 avenue de Friedland
"Détrompez-vous, j'ai une excellente relation avec mon conseil."
A l'autre bout de la vidéoconférence, Jean-Marie Messier lâche cette phrase simple comme une évidence, avec un calme déconcertant.
Je tente de déchiffrer son visage, d'y lire quelque chose comme un doute. Rien. L'exercice n'est pas aisé : l'homme est à des milliers de kilomètres de moi, dans son bureau new-yorkais, aussi décontracté que Guillaume Hannezo apparaît angoissé et tendu. Lui avait parfaitement compris ce qui se jouait dans cette vidéoconférence où nous discutions d'un projet de note que je leur avais adressé quelques jours auparavant. Cette note va être distribuée dans la semaine à plusieurs milliers d'investisseurs dans le monde. Elle dit, en résumé, que le groupe Vivendi Universal a été tellement mal géré ces derniers mois que tout désormais peut arriver : un sursaut du management en place, un raid boursier, une fuite en avant, ou le débarquement de son PDG.
Vivendi Universal ! Le 12 mars 2002, avec ses 350 000 salariés et ses 58 milliards d'euros de chiffre d'affaires, le duxième plus grand conglomérat de médias au monde avait une puissance comparable à celle d'un Etat. Mais d'un Etat au bord de la faillite : une semaine auparavant, le même Jean-Marie Messier présentait les pertes de son groupe pour 2001 : 13,6 milliards d'euros. 90 milliards de francs évaporés à la suite d'une gestion d'exception : des entreprises achetées trop cher, pour l'essentiel.
C'est justement de cela que nous parlions depuis un peu plus d'un quart d'heure.
"Une excellente relation avec mon conseil."
L'espace d'un moment, je n'écoute plus Jean-Marie Messier démonter point par point mes arguments selon lesquels il pourrait être débarqué par son conseil d'administration. Apparemment, le sujet le passionnait plus que les 20 premières pages de l'étude, où il se contentait de glisser sur mes arguments de fond concernant la dérive de son groupe : "vizzavi vaut zéro", "le royaume du résultat exceptionnel", "Internet, médaille d'or de la destruction de cash", "un management en surrégime", "débranchez la deal machine!", "le gouffre Telepiu".
Non, décidément, tout cela ne l'intéressait pas. Seul comptait pour lui ce scénario de 5% de probabilité selon lequel il pourrait être remplacé à la tête de Vivendi.
Je le regarde sans l'écouter. Est-ce à cause de la distance, du décalage entre l'image et le son ? Toujours est-il que cette fois-ci, son brio et son envie de plaire avaient disparu. Ses arguments tombent dans le vide, lisses comme des chiffres ronds, inopérants.
Je pris peur. Et si ce ton détaché était un avertissement, une menace ?
La peur. Et le doute, aussi. D'abord, qu'est-ce que je faisais là ? Etais-je vraiment à ma place ? L'homme en face de moi était une puissance, ayant des milliards d'euros, des centaines de milliers de personnes derrière lui. Sous le pied.
De mon côté, je ne représentais pas tellement plus que moi-même et mon collègue Eric Ravary, qui avait cosigné la note. Je travaillais dans une PME de la Bourse de Paris, CLSE-France, une centaine de salariés à tout casser. Une société, filiale du Crédit lyonnais, si petite et déficitaire que, deux ans plus tard, son nouveau propriétaire se dépêchera de céder ce passif encombrant, avec une soulte de quelques dizaines millions d'euros, à une société de Bourse parisienne.
En mars 2002, employé d'une société fragile, le seul actif que je pouvais opposer au PDG de Vivendi Universal, c'était mon métier et mon tire : analyste financier.
En lui répondant sur la possibilité de son limogeage, je tâchais de faire attention à mes paroles : la vidéoconférence était organisée sur le circuit interne de Vivendi. Elle devait être enregistrée de bout en bout. Pas de confrontation. Mais il tenait ferme ses positions. L'échange devait durer plus d'une demi-heure, soit trois à quatre fois plus longtemps que le reste, c'est à dire l'analyse de fond des errements financiers de ce groupe.
Passant longuement en revue la qualité de sa relation de travail avec son conseil, et de ses relations personnelles avec chaque administrateur, Jean-Marie Messier finit par me persuader d'une chose : j'avais touché un point sensible.
Au cours de cet échange audiovisuel et transatlantique, l'hypothèse farfelue d'un débarquement du PDG de Vivendi Universal devenait un sujet de conversation légitime.
Il fallait conclure. Je voulais que mes idées soient publiées, portées à la connaissance des investisseurs et des épargnants. Lui ne voulait pas perdre la face. Nous finissons par tomber d'accord : Jean-Marie Messier ne s'oppose pas à la publication de cette note, incluant le scénario de son propre débarquement avec une probabilité relevée à 10%. De mon côté, je publie la note avec une recommandation à l'Achat, accordant un crédit de 60% au scénario de retour à la normale : reprise en main, restructurations, arrêt de la deal machine, priorité à la génération de cash pour rembourser la dette, etc. En somme, tout ce que Jean-René Fourtou et son équipe exécuteront quelques mois plus tard.
Il était heureux. Moi aussi : l'étude allait pouvoir être publiée. Nous nous quittons en nous promettant de nous revoir bien vite.
Cette vidéoconférence devait être mon dernier contact avec Jean-Marie Messier.
Le 20 mars, la note sortait : "Vivendi, La Fin d'Une Exception", reprise quinze jours après par la presse.
Dans la foulée, Jean-Marie Messier tentait de réclamer ma tête à mon président, Jean Peyrelevade et essayait diverses manoeuvres raffinées de déstabilisation personnelle. Les professionnels de la communication appellent cela de la gestion de crise. Soit. Le lecteur jugera.
Le 6 mai, deux jours après un changement de notation de l'agence Moody's sur la dette de Vivdendi, j'envoyais une note, alertant les clients investisseurs du Crédit lyonnais Securities d'un risque de faillite (bankruptcy) de ce groupe. Le lendemain, tous mes travaux furent placés sous embargo, en prélude à diverses sanctions disciplinaires.
Le 3 juillet, Jean-Marie Messier quittait la présidence d'un groupe à quelques heures de la quasi-cessation de paiement, les larmes aux yeux et une promesse de 130 millions de francs d'indemnités dans la poche.
Trois ans après cet épisode spectaculaire, je me pose toujours la même question : avais-je fait correctement mon travail d'analyste ?
Rien n'est moins sûr. En première phrase de l'avant-propos de la note du 20 mars 2002, je rappelais que "cette étude n'est pas une entreprise de démolition du groupe Vivendi Universal et de son management. Au contraire".
Il m'arrive d'être un peu maladroit.
Dans le même esprit, je formulerai ici l'avertissement suivant : ce livre non plus n'est pas une entreprise de démolition des marchés financiers mondiaux et de leurs agents.
Les marchés financiers, ce lieu où se rencontrent le capital et le travail, l'argent des épargnants et les projets des entreprises, sont une affaire sérieuse et respectable, tout comme les agents qui le composent.
L'on pourra toutefois découvrir dans ces carnets de voyage que les habitants de la planète Finance ne sont pas toujours raisonnables. Ils sont souvent mus par tout un ensemble de forces, d'illusions et de désirs, mais rarement par le souci d'être justes, précis, équilibrés.
Ce livre est une plongée dans le coeur du réacteur des marchés financiers, tels que j'ai pu les observer à un endroit et à un moment privilégiés : j'ai été analyste financier sur les groupes de médias européens de 1998 à 2004, pendant le gonflement puis le percement de la bulle dite internet. Expression commode suggérant un moment passager de déraison ? ou signal avant-coureur d'une des plus grandes crises financières de l'histoire du capitalisme ?
J'ai été témoin mai aussi, volens nolens, acteur de quelques-un des excès et des dysfontionnements les plus achevés des marchés financiers. Le krach des valeurs internet. La tyrannie de la création de valeur. Les conflits d'intérêts entre les banques d'affaires et les analystes. L'irresponsabilité de la masse anonyme et aveugle des investissements institutionnels. Enfin, et surtout, le désarroi et l'incompréhension grandissante des épargnants, salariés et retraités, et des dirigeants d'entreprises face à un marché qui ne tourne plus vraiment rond.
Dans cette planète Finance, l'erreur et le génie, la malhonnêteté et le courage, le vice et la vertu se côtoient sans cesse, se croisent, s'entrelacent. Et parfois fusionnent.
Ce lieu et ces gens sont finalement si humains qu'il faudrait être fou pour leur confier nos économies, nos entreprises, nos projets. Et totalement pervers pour penser que les marchés financiers aient une loi qui doive s'imposer à la communauté des hommes.
Préambule | 11 | |
1. Courtier | 19 | |
2. Investisseurs | 45 | |
3. Sous-jacents et gros bêtas | 65 | |
4. Bulles | 81 | |
5. Roadshows | 109 | |
6. Le Puritain | 137 | |
7. Références circulaires | 169 | |
8. Tous aux abribus ? | 197 | |
9. Motus Vivendi | 219 | |
10. Le peloton de tête du CAC40 | 247 | |
Epilogue | 271 | |
Remerciements | 279 |
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